Qu’est-ce qu’un jardin-forêt ? Tentative de définition

Article publié le
Jardin-forêt, agroforesterie, agroécologie, permaculture ou encore paraculture… Comment s’y retrouver parmi tous ces termes ?

Un des jardins-forêts les plus aboutis de France, la Forêt Gourmande, chez Fabrice Desjours. 
R. Kulik | Le guide Terre vivante du jardin forêt

Ces explications sont extraites du livre Le guide Terre vivante du jardin forêt de Rémi Kulik.

Se situer dans l’univers des pratiques agricoles  

Avant de définir plus précisément ce qu’est un jardin-forêt, il me semble indispensable de faire un rapide inventaire des principales pratiques agricoles de notre époque et de leurs niveaux écologiques. En voici la liste, des plus artificielles aux plus naturelles, des plus instables aux plus résilientes, des plus maitrisées aux plus sauvages :

  • L’agriculture conventionnelle pratique le labour et utilise des produits phytosanitaires d’origine peu naturelle. La période de l’après-guerre et la découverte de la chimie de synthèse ont permis de grandes avancées au niveau des productions agricoles… mais sur le court terme seulement puisque l’on s’aperçoit aujourd’hui que ces pratiques détruisent les sols et la biodiversité.
  • L’agriculture de conservation marque l’entrée dans le monde de l’agroécologie. La prise de conscience de l’importance de la vie du sol incite à utiliser des pratiques plus douces et on voit de plus en plus de productions, par exemple, sans labour. Par contre, ces méthodes provoquent souvent, sur ces sols plus vivants, l’émergence d’adventices et autres « mauvaises herbes », ce qui pousse les agriculteurs à continuer d’utiliser des herbicides, comme le fameux glyphosate, et d’autres pesticides.
  • L’agriculture bio marque un début de compréhension et de respect des écosystèmes. Les « produits » utilisés pour nourrir et soigner les végétaux ou les animaux ne sont plus, ici, issus de la chimie de synthèse et sont dits plus respectueux de l’environnement. J’insiste sur le fait qu’il s’agit d’un « début de compréhension » car de nombreux agriculteurs ne savent pas encore se passer de certains produits tels que des insecticides, fongicides, herbicides et autres pesticides « autorisés en bio » qui, même s’ils ne sont pas considérés comme polluants, déséquilibrent les écosystèmes en tuant des espèces en masse ! Toutes les pratiques agricoles conventionnelles existent en version bio : élevage, maraichage, viticulture, céréaliculture, arboriculture… Par contre, si le bio prône l’arrêt de la chimie de synthèse, le respect de la vie du sol, les labours et autres techniques de travail de sol ne sont pas vraiment réglementés.

Dans les pratiques suivantes, on constate que l’arbre se trouve de plus en plus au cœur du système.

Si vous prenez n’importe laquelle de ces pratiques et que vous y ajoutez des arbres, vous obtiendrez de l’agroforesterie… C’est peut-être trop vague, alors je vais préciser un peu plus. L’agroforesterie désigne simplement toutes les pratiques agricoles qui intègrent l’arbre au sein d’autres productions et qui s’inspirent du modèle de la forêt. Dans cette idée, les principes de l’agroforesterie s’appliquent totalement au jardin-forêt. De nombreuses exploitations agricoles en agroforesterie intègrent des productions de légumes ou de céréales entre des rangées d’arbres, de fruitiers ou autres. Un système sylvopastoral (du latin silva, la « forêt », et de « pastoral », qui est relatif à l’élevage de troupeaux), consiste à intégrer des arbres dans les parcelles où vivent les animaux pour leur apporter différents avantages tels que l’ombre ou la nourriture. Nous verrons plus loin les nombreux avantages que l’arbre et la forêt peuvent apporter en agriculture.

Si l’agroforesterie consiste à mettre cote à cote différents types de productions (oui, c’est toujours trop résumé mais cela donne une idée du concept), les jardins-forêts et autres forêts comestibles plus ou moins sauvages consistent plutôt à mélanger toutes ces productions pour obtenir quelque chose qui se rapproche encore plus de la forêt. Cette catégorie très vaste regroupe de nombreuses pratiques qu’il n’est pas toujours facile de différencier les unes des autres. Certains noms sont quasiment synonymes, alors que d’autres désignent des concepts légèrement différents. Ce dernier point à propos des systèmes agricoles se divise en deux catégories bien distinctes :

  • La première – qui fait l’objet de ce livre – regroupe toutes les pratiques qui consistent à créer, à partir d’une prairie ou d’un potager, des jardins imitant des forêts naturelles et sauvages, mais dont les cultures et les productions représentent un intérêt direct ou indirect pour l’humain.
  • Enfin, la dernière catégorie se situe à la limite des systèmes dits « agricoles ». Elle consiste à partir de forêts sauvages et à en diriger les productions, un peu à l’image de la forêt « vierge » d’Amazonie qui, d’après de nombreux botanistes, écologues et archéologues, a été cultivée et faconnée par les peuples autochtones bien avant que les colons européens ne viennent l’exploiter. Une forêt pas si vierge que ca, donc ! Le terme de « paraculture », utilisé par Natacha Leroux, représente bien justement cette image de pratique à la limite entre l’agriculture et le sauvage. Comme elle le dit dans son blog, riche d’informations intéressantes sur ce sujet, dans ce genre de forêt, « les plantes, les champignons, les abeilles, les animaux sont libres, sauvages et spontanés. On optimise l’abondance des ressources comestibles sauvages à des fins alimentaires. La cueillette régénérative de plantes sauvages est ce qui représente le mieux la paraculture ».

Et la permaculture et l’agroécologie dans tout ca ? L’agroécologie est un terme qui englobe toutes les techniques et pratiques agricoles et agronomiques ayant pour double objectif la production agricole et le respect de l’environnement. La permaculture est une philosophie encore plus globale puisqu’elle s’appuie sur une éthique et des principes pouvant s’appliquer à l’agriculture mais aussi – et surtout je dirais – à tous les domaines et pratiques humaines : l’enseignement, l’habitat, la santé et même la politique ou la finance… La permaculture peut être un formidable outil pour créer des jardins-forêts.

Le jardin-forêt défini par un permaculteur 

C’est un jardin conçu comme un système global, composé de différents éléments en interaction les uns avec les autres, produisant une abondance de ressources qui seront partagées équitablement entre les êtres vivants qui le composent et le jardinier ou la jardinière qui le cultive… Le tout ressemblant à s’y méprendre à une forêt sauvage et indisciplinée ! Forêt jardinée, jardin-forêt, jardin boisé, forêt comestible, forêt nourricière ou forêt fruitière… Tous ces termes sont « relativement » synonymes et sont utilisés indistinctement, en fonction de ce qu’ils évoquent chez les uns et les autres. Pour ma part, j’ai tendance à utiliser les expressions avec le mot « forêt » placé en premier lorsqu’il est question de forêts naturelles et sauvages qui sont façonnées par l’humain, et les expressions avec le mot « jardin » en premier pour parler de zones entièrement créées par l’humain, ayant pour objectif de ressembler, à terme, à une forêt naturelle. Pour autant, si un jardin-forêt est bien réalisé, il se transformera naturellement en forêt-jardin… Vous me suivez toujours ?

Mais alors, pourquoi est-ce que je préfère utiliser l’expression « jardin-forêt » ?

Je me sens jardinier depuis toujours. Petit, en Afrique, où j’ai grandi, je faisais déjà pousser des arachides, de la canne à sucre ou des ananas. J’ai donc personnellement beaucoup d’affinités avec le mot « jardin ». Et pourquoi « forêt » ? Tout d’abord, parce que les systèmes forestiers sont les plus stables, les plus productifs, les plus naturels et ont des effets majeurs sur la biodiversité et le climat. Ensuite, parce que « forêt » reste un terme assez large, qui englobe toute la diversité des productions qu’elle peut fournir. Diversité que n’expriment pas, selon moi, les expressions de « forêt nourricière » ou « forêt comestible » qui sont plutôt centrées sur l’alimentation. Il est évident qu’un jardin-forêt peut fournir de l’alimentation, et c’est d’ailleurs ce qui attire et intéresse la plupart des gens qui veulent en créer un, mais ce type de jardin peut également produire de nombreuses autres ressources : des plantes à usage médicinal, du bois de chauffage ou pour des outils, des liens, des teintures, de la biodiversité (si, si, ca peut être vu comme une production !) ou même simplement un lieu où l’on se sent bien, où l’on se ressource et que l’on peut utiliser essentiellement dans ce but.

 

 

Comment et pourquoi ça marche ? 

Pourquoi vouloir imiter les forêts ? Et surtout, est-on sûr que ca marche vraiment ? En prenant du recul et en observant la Terre, on peut faire un constat simple : quand on laisse faire la nature, les continents de notre planète se couvrent de forêts (sauf au niveau des pôles et dans les déserts froids ou arides, bien entendu). Et l’on constate que toutes les forêts du monde sont des écosystèmes très productifs qui ne polluent pas, qui ne demandent aucun intrant et qui sont stables, tout en étant résilients. Voyons plus précisément ce que cela signifie.

Un système productif 

La forêt est un écosystème qui représente une grande biomasse. En écologie, la « biomasse » représente la masse totale des êtres vivants qui composent un lieu. En forêt, elle est très importante et se renouvelle sans cesse, sans avoir besoin d’intervention humaine.

Un système non polluant 

Si l’on prend le sens premier du terme « pollution » comme étant une « émission de substance ou des nuisances diverses entraînant la dégradation de l’environnement », il est alors simple d’admettre qu’une forêt est non polluante. Mais il est intéressant aussi de comprendre l’importance de tous les cycles en jeu dans ce genre d’écosystème. Tous les êtres vivants, quels qu’ils soient, produisent des déchets : les arbres lorsqu’ils perdent leurs feuilles, les animaux quand ils respirent et rejettent du CO2, lorsqu’ils produisent des déjections ou même lorsqu’ils meurent. Si ces déchets n’étaient pas recyclés, ils pourraient rapidement devenir des formes de pollution. Eh bien, ce que l’on peut observer, c’est que, dans tous ces cas de figure, les déchets des uns deviennent les ressources des autres ! En forêt, les feuilles mortes tombées au sol vont nourrir la faune et les champignons, le CO2 rejeté lors de la respiration sera réutilisé par les plantes lors de la photosynthèse, les excréments des animaux vont en nourrir d’autres et, en fin de vie, leurs corps vont être mangés par les charognards ou les décomposeurs… Rien n’est jamais perdu, et aucun déchet ne se retrouve sous une forme ou dans une quantité telle que le vivant ne parvient pas à la recycler. Ici, l’humain peut d’ailleurs se « vanter » d’être le seul être vivant sur Terre à savoir créer des déchets que même la nature ne sait pas recycler. Dans une forêt, en revanche, le cycle de la matière organique crée ce que l’on appelle « l’autofertilité ».

Aucun intrant

Les intrants, en agriculture, ce sont tous ces produits venant de l’extérieur du système et nécessaires à sa productivité, comme les engrais et les amendements, les produits phytosanitaires, les semences que l’on doit parfois racheter tous les ans…

Dans une forêt, le système global est entretenu, nourri, régulé et soigné par tous les êtres qui le composent. Les déjections des uns nourrissent les autres, comme on vient de le voir, les prédateurs mangent les « ravageurs » et vont les réguler, etc. – je mets la notion de « ravageur »entre guillemets ici car il s’agit d’un point de vue humain.

Toutes ces interactions entre les êtres vivants et ces processus écologiques sont appelés « fonctions écosystémiques » et ce sont elles qui rendent le point suivant possible.

Stabilité et résilience 

Les forêts, et les jardins-forêts s’ils sont bien conçus, sont stables sur le long terme, grâce aux fonctions écosystémiques que l’on vient de voir, et sont résilients. Le terme de « résilience », de plus en plus utilisé dans de nombreux domaines, représente la capacité que possède une personne, un système, une matière ou, dans notre cas, un écosystème, à retrouver un fonctionnement normal après avoir subi un choc ou une perturbation. Pour illustrer cela, il suffit de voir à quoi ressemble une forêt quelques années après le passage d’un incendie… ou comment la nature a repris ses droits dans la ville d’Hiroshima après les bombardements de 1945.

Et quand ça ne marche pas ?

Le système « forêt » est, selon moi, le plus fiable et le plus durable qui existe ou, du moins, celui sur lequel nous avons le plus de recul puisqu’il fonctionne depuis environ 150 millions d’années. En comparaison, nous avons bien moins de recul sur nos systèmes agricoles modernes, et les garanties offertes par ces systèmes sont beaucoup plus aléatoires.

Plus nous réussirons à copier le fonctionnement naturel de nos forêts, plus nous aurons la garantie d’avoir des systèmes vraiment durables, tout en étant productifs. Et si ça ne marche pas, ça ne veut pas dire que ce concept ne fonctionne pas mais plutôt qu’il a été mal « copié » !

 

Rémi Kulik

À lire aussi
Permaculture, Jardin bio
35,00