Une histoire d’arbre

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Dans les années 70, un groupe de psychologues américains avait entraîné un groupe d’enfants à l’art de s’exprimer par métaphores, de répondre de manière imagée à des questions compliquées. À la question : « En quoi la croissance d’une graine et d’un œuf sont-elles pareilles ? », une des réponses fut : « Il n’y a que la graine et l’œuf qui savent ce qu’ils seront une fois grands. Quelque chose à l’intérieur doit le leur dire. C’est un peu comme quelqu’un qui raconte une histoire, et qui est le seul à savoir comment ça finit. » Voilà qui devrait nous inspirer. Avant de commencer à tailler, nous allons nous mettre à l’écoute de cette histoire que l’arbre raconte, sans lui couper la parole sans arrêt avec un sécateur, sinon on ne saura jamais la fin.

Cicatrice abscission foliaire sur un figuier.
S. Moréteau |

Ces explications sont extraites du livre J’apprends à tailler mes arbres d’Alain Pontoppidan. L’auteur nous invite à suivre la croissance d’un bébé pommier, à le regarder pousser en images, pour faire amplement connaissance avec lui.

Tout commence avec l’embryon

La graine est enveloppée d’une membrane protectrice qui rappelle la coquille de l’œuf, en plus solide.

À l’intérieur de cette enveloppe, les cotylédons, équivalents végétaux de l’albumen et du jaune de l’œuf, constituent la réserve nutritive. Enfin, lové au cœur de cette cachette, le minuscule embryon, qui porte le même nom chez l’animal et chez le végétal.

La graine et l’œuf : une identité de fonction leur a conféré des structures voisines.
C. Galinet, I. Pouyanne et C. Koehly |

Une première grande différence, disons d’ordre stratégique, apparaît dans le comportement de l’embryon.

Alors que, chez les animaux, il se développe en continu à l’intérieur de l’œuf jusqu’à cet événement qu’on appelle la naissance, l’embryon végétal commence un tout petit peu à grandir juste après la fécondation… et puis s’arrête. Il fait une pause qui peut durer très longtemps.

En effet, quand une graine est mûre, que sa coque est durcie, qu’elle a fait le plein de réserves, le fruit qui la renferme se détache. Il emporte en son sein un embryon endormi, qui peut rester des années en état de vie ralentie, dans l’attente que les conditions favorables à sa germination soient réunies.

L’embryon dans la graine : une plante en miniature.
| J’apprends à tailler mes arbres

De l’importance d’attendre

Imaginons une graine d’arbre, un noyau de cerise par exemple, qui se mettrait à germer dès la fin de l’été, avec les premières pluies de septembre. Le sol est meuble et tiède, l’automne est beau et excitant comme un printemps, toutes les conditions sont réunies pour qu’un jeune arbrillon se laisse tenter par la grande aventure. Le voilà donc qui sort de sa coquille, déploie hardiment ses premières feuilles à la lumière. Le monde lui appartient, du moins peut-on le croire pendant un certain temps.

Tout se gâte quand vient le mois d’octobre, et que le temps commence à devenir nettement moins chaud. La croissance ralentit. Puis elle s’arrête. Et quand novembre arrive, les premières gelées ne font qu’une bouchée de cette pousse tendre dont les tissus n’ont pas eu le temps de s’endurcir. Exit l’arbrillon nouveau-né !

Dans la réalité, une telle mésaventure ne peut pas se produire. Quelle que soit la douceur de l’automne, les graines des arbres de chez nous refusent obstinément de germer. Parfaitement armées pour résister aux hivers les plus rigoureux, elles ne se risquent pas à mettre la moindre tigelle dehors avant l’arrivée du printemps.

Ce blocage de la germination – un ingénieux dispositif de sécurité – a reçu le nom de dormance. L’embryon dort comme une marmotte. Il ne se réveillera que lorsqu’il aura véritablement éprouvé les rigueurs de l’hiver. Alors les coquilles des noix s’entrebâilleront, le cuir des marrons se fendra, les noyaux des pêches s’ouvriront pour que la jeune pousse puisse naître.

La jeune pousse se déploie

Imaginons maintenant un pépin de pomme semé au printemps, en train de commencer à germer. Il émet deux pousses dans deux directions opposées.

La racine, qui se dirige vers le bas même si la graine a été semée à l’envers, et la tige, qui pointe vers le haut. Notre objectif étant d’apprendre à tailler, nous allons nous intéresser à la tige.

Une pousse qui grandit, cela fait penser à une antenne télescopique, formée de segments emboîtés les uns dans les autres, et dont les différents étages seraient les différents entre-noeuds. Un premier segment apparaît – premier entre-noeud –, il porte une première petite feuille plantée à son sommet. Quand il a pris sa taille définitive, la jeune feuille est totalement développée, et un deuxième segment est déjà en train de se mettre en place à l’étage au-dessus. La tige pousse par allongement de l’extrémité, par empilement de segments formés d’une feuille et d’un morceau de tige.

La future pousse est déjà présente, comprimée à l’intérieur du bourgeon.
C. Galinet, I. Pouyanne et C. Koehly |

Le long de la tige, plaqués à l’aisselle de chaque feuille, sont dissimulés les bourgeons, des bourgeons qu’on dit « dormants », parce que, pour l’instant du moins, ils ne donnent pas naissance à des pousses latérales. Ils sont figés, mis en réserve.

Pendant toute la période végétative, c’est-à-dire en gros d’avril à septembre, le jeune arbre est ainsi occupé à grandir.

Jeune pousse de pommier.
A. Pontoppidan |

L’aoûtement

À la fin du mois d’août, notre jeune pommier mesure une quarantaine de centimètres de haut. Sa croissance devient moins vigoureuse. Il n’est plus uniquement occupé à grandir, mais commence à amasser des réserves nutritives dans ses tissus, en prévision de l’hiver. Réserves qui lui permettront de redémarrer au printemps prochain, avant que n’apparaissent les nouvelles feuilles.

Pendant cette période a lieu un événement important, qu’on appelle l’aoûtement : les tissus de la nouvelle tige s’endurcissent en fin d’été. Ils se transforment en bois véritable, suffisamment robuste pour affronter des températures très basses. La pousse devient assez ferme pour ne pas geler, et aussi pour se préparer à supporter l’accroissement de la charpente, qui va devenir de plus en plus massive au fil des années.

 

 

L’hibernation

À l’entrée de l’hiver, la pousse est bien durcie, les racines et le bois sont garnis de réserves, sous forme d’amidon, le petit arbre est prêt à se laisser aller à son grand repos annuel.

Les feuilles commencent à tomber. On a tendance à imaginer que c’est le froid qui fait tomber les feuilles des arbres. La réalité est un peu plus complexe, l’arbre lui-même jouant un rôle actif dans le processus : il se débarrasse de ses feuilles pour mieux résister au froid. À l’arrivée des basses températures, il déconnecte les vaisseaux qui alimentaient la feuille et fabrique une petite couche de liège à la base de chacun des pétioles, juste au niveau du point d’attache de la feuille.

Cette mince couche de liège a pour effets :

  • de provoquer la séparation du pétiole avec le rameau porteur. Ce phénomène s’appelle l’abscission foliaire. Elle laisse une cicatrice nettement visible sur le rameau ;
  • de constituer un minuscule bouchon qui recouvre la cicatrice et la protège de la pluie et des micro-organismes indésirables.

Au point d’abscission du pétiole, une petite couche de liège se forme.
C. Galinet, I. Pouyanne et C. Koehly |

Cicatrice d’abscission foliaire sur un figuier.
S. Moréteau |

 

Alain Pontoppidan

 


 

Si vous souhaitez savoir ce qu’il se passe la deuxième année, comment l’arbre grandit et se ramifie, ses réactions, l’assemblée des bourgeons, la mise à fruit ou encore le poids des ans, vous trouverez toutes les réponses dans le livre J’apprends à tailler mes arbres de Alain Pontoppidan, en plus de découvrir comment tailler les arbres fruitiers et les arbres et arbustes d’ornement.

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