Au diable la mode !

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S’engager pour la planète, proposer des solutions pour l’avenir… Entre coups de cœur et coups de griffes, des auteurs et acteurs de Terre vivante prennent la plume et livrent leur vision sur un thème qui les touche particulièrement. Aino Adriaens, rédactrice des 4 saisons et auteure Terre vivante, s’intéresse ici de plus près à un monde plutôt éloigné de son quotidien, mais pas de celui de nombreux consommateurs… Ou comment s’interroger sur les habits que l’on porte.
Au diable la mode ! 1

Tous les moyens sont bons pour exacerber leurs penchants narcissiques et les pousser à acheter au-delà du raisonnable, à des prix toujours plus bas et sans la moindre réflexion éthique et écologique.

J’adore la déchetterie de mon village. J’y amène à peu près autant de choses que j’en ramène, car je trouve toujours un vieil outil, un bout de grillage, des planches ou des pots de fleurs qui serviront un jour, ou pas. Vu que je rate systématiquement les horaires de la bibliothèque, c’est là aussi que je pioche dans une grande armoire des livres patiemment triés et rangés selon leur genre par quelques bénévoles. Mon choix se porte en général sur des romans d’aventure ou des récits historiques : avant de m’endormir, je cherche à me changer les idées et j’évite soigneusement les thématiques écologiques qui occupent déjà la majeure partie de mes journées. Le dernier bouquin m’a comblée : Le diable s’habille en Prada m’a emportée sur une autre planète, à des années-lumière de la bonne odeur de la terre et du chant des oiseaux.

Pour ceux qui n’auraient ni lu le livre ni vu le film éponyme, ça raconte l’histoire d’une jeune universitaire devenue stagiaire-assistante de la rédactrice en chef tyrannique d’un prestigieux magazine de mode américain. Ce qui est, à quelques détails près, une expérience réellement vécue par Lauren Weisberger, l’autrice de ce best-seller. J’en suis ressortie passablement choquée. Car dans le monde qu’elle dépeint, il n’est question que d’argent et d’égo. On s’y promène de salons chics en hôtels de luxe, on s’adonne au culte des VIP, on gaspille et on jette, on se déplace en jet privé comme on prendrait l’ascenseur et, bien sûr, on méprise toutes celles qui ne sont pas maigres, haut perchées et moulées dans des habits griffés. Tout cela ne serait guère gênant – il faut de tout pour faire un monde – si ces faiseurs de mode n’avaient une telle influence sur les jeunes en quête d’identité ou obsédés par le regard des autres. On leur doit notamment les profils anorexiques de bon nombre d’adolescentes mal dans leur peau, mais aussi la consommation effrénée de vêtements qui crée de véritables catastrophes écologiques et sociales dans les pays qui les produisent.

L’EMPRISE FOLLE DE L’INDUSTRIE BON MARCHÉ

Curieuse d’en savoir plus, j’ai extirpé d’une pile l’excellent dossier de La Revue durable consacré à l’industrie textile et à ses dérives (N°64, printemps-été 2020). L’enquête révèle que la réalité s’avère encore pire que la fiction. On y apprend notamment comment, grâce aux réseaux sociaux et aux données personnelles qui y circulent, l’industrie de la mode bon marché cette fois, la fast fashion, a acquis une emprise folle sur les internautes. Tous les moyens sont bons pour exacerber leurs penchants narcissiques et les pousser à acheter au-delà du raisonnable, à des prix toujours plus bas et sans la moindre réflexion éthique et écologique. Les chiffres sont éloquents : aujourd’hui, les consommateurs achètent en moyenne 60 % de plus d’habits qu’il y a quinze ans et ceux-ci seront en moyenne portés deux fois moins avant d’être jetés. Cette frénésie d’achat, orchestrée par les grandes marques, conduit à produire toujours plus et à livrer toujours plus vite, avec les conséquences que l’on sait sur les ouvriers du textile et sur l’environnement : salaires de misère et conditions de travail insalubres, pollution des eaux (pesticides pour la culture du coton, produits chimiques pour la teinture des fibres, dispersion des microfibres synthétiques à chaque lavage), 10 % des émissions mondiales de C02… Avec, en bout de course, un taux de recyclage insignifiant puisque 73 % des vêtements produits finissent en décharge ou à l’incinération. Leur qualité est d’ailleurs à tel point déplorable que même les associations caritatives refusent une grande part des vêtements qu’on leur offre : les sans-abris ne sauraient que faire des top et tissus légers qui remplissent les sacs de collecte….

Voilà qui me ramène à la déchetterie communale, où je porte avec moins de scrupules et plus de fierté que jamais ma vieille vareuse élimée. Promis, dorénavant je raccommoderai mes chaussettes, j’éviterai les fibres synthétiques et le coton non bio – à moins qu’il ne vienne d’un magasin de seconde main – et je soutiendrai les efforts de ceux qui tentent de remettre sur pied les filières du chanvre et du lin européen. Une dernière résolution peut-être ? Comme prochaine lecture, je choisirai un roman à l’eau de rose dans la grande armoire pleine de livres.


Au diable la mode !Aino Adriaens, biologiste passionnée de jardinage, est rédactrice auprès de plusieurs journaux et magazines dédiés au jardin ou à la nature, dont les 4 saisons. Elle est l’autrice de Fake news au jardin, une coédition Terre vivante & La Salamandre.

 

 

Titwane |

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