Ressourceries : le végétal fait pot neuf

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En France, des ressourceries dédiées aux jardins ont vu le jour ces dernières années. Nous sommes allés chez Plant B, première et seule ressourcerie de ce type en Île-de-France, pour découvrir le phénomène florissant des jardineries de seconde main.

M. Hazan |

Par les immenses fenêtres au plafond, la lumière se propage dans la pièce. Entre les quatre larges murs en bois de ce bâtiment majoritairement issu du réemploi, la verdure, les pots, les pelles et les bottes en plastique cohabitent. Nous sommes chez Plant B, en plein cœur du quartier de Bercy à Paris. Ici, tout fonctionne comme dans les ressourceries textiles et généralistes que l’on trouve partout en France : on récupère sur la base du don, on valorise, puis on remet en vente à prix mini. En revanche, on y préfère les paires de sécateurs aux paires de jeans, les plantes vertes aux armoires et les arrosoirs à la vaisselle : Plant B est une ressourcerie entièrement dédiée aux jardiniers.

D’un rayon de cache-pots en céramique habilement rangés par couleur, Christine Grzybowska passe une tête. Elle est l’une des deux employées du site, et l’une des personnes à l’origine du projet. Avec trois de ses amis, ils sont partis d’un constat : il existe peu de solutions vertes pour les mains vertes, alors même que le monde du jardinage fait la part belle à la surproduction et au gaspillage. C’est en cherchant à mettre à disposition un outil adapté à un jardinage plus responsable, tout en rendant accessible la verdure à tous les porte-monnaie, que l’idée de Plant B a germé.

UNE RESSOURCERIE DE TOUS LES VIVANTS

Ici, on ne se contente pas de récupérer pour revendre : les plantes, on les soigne. Christine Grzybowska pointe un lot de fougères par la fenêtre : « elles viennent d’une exposition au Grand Palais Éphémère. Elles étaient mal en point, mais on va les soigner. »  Elle poursuit : « on a des gens qui arrivent tout malheureux avec leur plante malade. Ils la portent comme s’ils arrivaient avec un être cher dans les bras. On n’est pas magiciens, mais on fait toujours tout pour les sauver. En quelques mois, on a déjà beaucoup de belles histoires à raconter. » Cette volonté de sauver la végétation se retrouve dans toutes les ressourceries de ce type. Les Robin.e.s des Bennes, à Amiens, ont même ouvert une clinique des plantes dans un jardin. On peut y confier ses végétaux malades ou apprendre à les soigner grâce aux conseils de bénévoles passionnés.

Avec tendresse, Christine regarde ses étagères. « De plus en plus de gens nous appellent, et sont heureux de savoir qu’on existe. Ils ne savaient pas vers qui se tourner, autant pour donner que pour soigner. On est leur solution. » Ces étagères sont l’illustration de plein d’histoires de vies, du papi qui n’a plus la force et qui confie les orchidées sur lesquelles il a veillé pendant des années au jeune cadre dynamique qui doit quitter la capitale… Chaque plante est le témoin d’une page qui se tourne et d’une nouvelle qui est prête à commencer. Christine conclut avec poésie : « On est une ressourcerie du vivant. De tous les vivants. »

(SE) CULTIVER…

 On y cultive les plantes, les histoires, et on s’y cultive aussi soi-même. À droite de l’entrée, un petit salon de lecture est aménagé. Des dizaines de livres de jardinage y sont disponibles, à l’achat comme à la lecture. Juste derrière, une large table en bois. C’est ici que des ateliers en lien avec le jardinage sont proposés aux petits et grands deux fois par semaine. « Cet hiver, on a fabriqué des hôtels à insectes. Là, à l’arrivée des beaux jours, on confectionne des cartes à planter. On essaie de se diversifier tout en respectant le calendrier de la Terre », explique la passionnée de végétal. À Dijon, La Ressourcerie Végétale de Chantale Thierry est dans une démarche similaire. En plus d’être un lieu de refuge pour les plantes, elle propose des ateliers manuels pour apprendre à s’en occuper correctement, et à développer sa démarche écoresponsable.

Christine ouvre une porte, au fond de la pièce. Nous arrivons dans l’atelier de valorisation. Au sol, des plantes en attente de soin. Sur les étagères, des briques de lait vides attendent d’être transformées en mangeoires à oiseaux à l’occasion d’un atelier. Des bidons d’eau vides sont posés sur un établi. « On va les couper en deux et en faire des miniserres pour les semis, » se réjouit Christine. Contre le mur, des caisses bleues empilées sont remplies d’objets en tout genre. « Ça, c’est ce qu’on a reçu à valoriser cette semaine… On ne s’ennuie jamais ! » Christine rassure : « Ici, c’est un peu tout le monde qui s’occupe de la valorisation. Les deux salariés, mais aussi les bénévoles, les services civiques – comme Rita, présente ce samedi – ou les stagiaires qui suivent la formation “valoriste”.»

 

… ET CULTIVER L’ENTRAIDE

Au-delà des enjeux écologiques, les ressourceries ont également une mission solidaire et sociale. La formation “valoriste” fait partie des métiers nés grâce au développement du réemploi. Elle est certifiante. On y apprend à collecter, trier, puis valoriser tout ce qui est donné aux ressourceries. Accessible pour les demandeurs d’emploi ou les personnes en insertion, elle permet de nouvelles chances. Chez Plant B, les apprentis-valoristes apprennent autant à retirer de la rouille sur un râteau, qu’à soigner une plante un peu malade. De quoi ajouter de belles lignes à leurs CV. 

Si Plant B attend d’observer l’évolution et la pérennité du site avant de faire appel à des chantiers d’insertion, d’autres ressourceries du même type ont déjà fait ce choix. C’est le cas de La Brocante Verte, à Nantes, qui repose sur deux piliers : valoriser les végétaux et les humains. Via le dispositif “Premières heures en chantier”, elle propose des contrats de travail à des personnes sans domicile fixe. Ils peuvent évoluer de 3 à 20 heures, afin que le retour à la vie professionnelle se fasse en douceur et à leur rythme.

Aux abords de Plant B, l’humain a également toute sa place. Juste à droite quand on sort du bâtiment, des petits jardins et plantations ont élu domicile dans de larges jardinières. Christine explique que « ce sont des jardins dédiés aux 70 familles de réfugiés qui habitent en face. Il y a un centre d’accueil de l’autre côté du boulevard Poniatowski. On organise des ateliers qui leur sont dédiés pour qu’ils apprennent à s’occuper des jardins. »

Enfin, l’action sociale passe aussi par les petits prix, qui dépassent rarement les 10 €, et qui rendent la verdure et le jardinage accessibles à tous. L’association antigaspi Les Robin.e.s des Bennes a d’ailleurs poussé le curseur encore plus loin : pour « permettre aux personnes qui n’en ont pas les moyens de pouvoir végétaliser leur intérieur et extérieur », les plantes sauvées sont données. Chez eux, on chérit toutes les plantes, sauf l’oseille… 

LES GRANDES ENSEIGNES ? MI-FIGUE, MI-RAISIN

Aujourd’hui, avec l’introduction d’une responsabilité élargie aux producteurs d’articles de bricolage et de jardin (ABJ) dans la loi Agec (anti-gaspillage pour une économie circulaire), les grandes enseignes sont obligées de préparer le recyclage de tout ce qui touche au jardin. Pourtant, ici, aucune plante n’est issue d’un grand magasin. Pour Christine, l’explication est simple : « Ils préfèrent passer par des plateformes qui ne reposent pas sur le don, comme TooGoodToGo ». Elle ne s’en plaint pas. « La contribution des grandes enseignes à des ressourceries comme la nôtre fait débat. Moi, je me place du côté de ceux qui craignent que certaines utilisent le fait de donner pour légitimer leur surproduction. On ne veut pas devenir la poubelle des invendus et l’excuse des grands magasins. »

À l’inverse, du côté des Robin.e.s des Bennes, les plantes viennent en partie de Botanic ou d’Auchan. « On n’est pas dupe, on sait bien qu’en émettant des reçus fiscaux – qui permettent aux donateurs une réduction d’impôts –, on participe à un système bien plus grand que nous, » défend Louise Boyard, la fondatrice. « Mais en 2019, les orchidées que nous donne aujourd’hui Botanic, on les récupérait dans des bennes à ordures pleines à craquer. Dans tous les cas, la surproduction existe dans ce domaine, donc autant récupérer pour donner gratuitement à ceux qui ne peuvent pas se l’offrir, que laisser partir à la poubelle. »

Si les donations des grandes enseignes font débat, celles des professionnels et producteurs locaux mettent tout le monde d’accord ! N’en déplaise aux quinze pieds de colza qui sont venus fleurir le jardin de Plant B, après une donation du salon de l’agriculture.

BERCY À VOUS

C’est sur le site de Bercy Beaucoup que Plant B a élu domicile : une ancienne friche de la SNCF réaménagée et dédiée à autrui, sur fond de nature qui reprend ses droits. On fait le tour. On passe devant des ruches. « C’est un apiculteur qui fait du miel ici, on le vend directement à la ressourcerie, » pointe Christine. On arrive sur une parcelle de la “petite ceinture parisienne”, une ancienne voie ferrée sur laquelle l’herbe verte a repris le dessus. Une scène trône, les buildings de Bercy en toile de fond « Ici, c’est un “plancher d’expression” : il y a eu des cours de yoga, des percussions, du théâtre… Actuellement, on sort de l’hiver, donc c’est un peu mort. Mais tout rouvre le 27 avril, en même temps que la guinguette, » détaille Christine. Car oui, sur le site, il y a aussi une guinguette qui ramène son flot de vie et de rire l’été venu.

Christine Grzybowska compte d’ailleurs sur sa réouverture pour amener du monde à la ressourcerie. « Économiquement, on est encore fragile, confie-t-elle. Pour le moment, on dégage juste ce qu’il faut pour exister. Mais on n’est ouvert que depuis septembre 2023, donc c’est toute cette première année qui est décisive. On n’a pas encore pu vivre la saison du printemps-été, ça sera certainement plus vivant. » En parallèle, elle met en place des alternatives pour diversifier l’économie du site tout en restant fidèle à ses valeurs, comme le gardiennage de plantes qu’elle veut étendre aux particuliers : une sorte de pension pour rhododendrons et de colo pour plantes en pot !

Même si les premières graines sont toujours plus difficiles à faire germer, ces projets sont en pleine pollinisation. On en trouve aujourd’hui une dizaine sur le territoire français, et des projets similaires continuent de prendre racine. La seconde main du vivant se développe, à nous désormais de la cultiver pour faire en sorte que les graines se transforment en vivaces !

 

Marie Hazan

Des ressourceries jardin en France

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