Quand l’azote chimique contribue à la faim dans le monde

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S’engager pour la planète, proposer des solutions pour l’avenir… Entre coups de cœur et coups de griffes, des auteurs, autrices, acteurs et actrices de Terre vivante prennent la plume et livrent leur vision sur un thème qui les touche particulièrement. Un an après avoir dénoncé dans son livre Les apprentis sorciers de l’azote la menace que représentent les engrais azotés de synthèse, Claude Aubert revient sur ce sujet, amplifié par la guerre en Ukraine. Car leur usage serait indispensable pour augmenter la production de blé nationale, entend-on… L’ingénieur agronome fait le point.
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Quant à l’impact de ces engrais sur l’environnement et la santé, silence radio. Et voici qu’en mars 2022, on reparle des engrais azotés parce que leur prix – et donc celui des céréales – a explosé. 

Quand, l’an dernier, j’ai publié Les apprentis sorciers de l’azote (éd. Terre Vivante) pour alerter sur les conséquences désastreuses de l’usage massif des engrais azotés chimiques, il n’y a eu quasiment aucune réaction des médias. Je m’y attendais et me disais depuis longtemps que, pour que ces derniers s’intéressent à l’azote, il faudrait qu’il y ait des morts. Hélas, c’est arrivé en août 2020 quand un stock de nitrate d’ammonium, matière première des ammonitrates, a explosé à Beyrouth, dévastant une partie de la ville et causant la mort de 200 personnes. Les médias, en effet, se sont réveillés… pour s’inquiéter des risques qu’un tel accident se produise en France. Quant à l’impact de ces engrais sur l’environnement et la santé, silence radio. Et voici qu’en mars 2022, on reparle des engrais azotés parce que leur prix – et donc celui des céréales – a explosé. Mais qui, à part les écologistes et quelques scientifiques, a remis en cause leur utilisation ?

PRODUIRE TOUJOURS PLUS DE BLÉ ?

Pourtant, avec le programme Farm to Fork (de la ferme à la fourchette), l’Europe a proposé d’en diminuer l’utilisation de 20 % d’ici 2030, et de passer à 25 % d’agriculture biologique. Hors de question, ont dit la FNSEA, le ministre de l’Agriculture et la majorité des pays européens… ce qui a conduit le Parlement européen à voter contre ce projet. Car, disent-ils, il faut produire toujours plus de blé en raison de l’incertitude qui plane sur les exportations russes et ukrainiennes, deux des premiers exportateurs mondiaux de cette céréale. Il est vrai que de nombreux pays, notamment d’Afrique et du Moyen-Orient, doivent en importer des quantités considérables. Donc pas question de faire baisser les rendements en réduisant les apports d’azote. Quant à l’environnement, il attendra.

En réalité, on produit assez de blé sur la planète, et une pénurie est peu probable, malgré la guerre en Ukraine. Le vrai problème étant, pour les pays et les populations pauvres, celui du prix, conséquence de la spéculation plus que d’une pénurie. La France est le principal producteur et exportateur de blé en Europe (30,6 millions de tonnes produites dont 13,6 millions de tonnes exportés), sachant que plus de la moitié de la production consommée en France est destinée à nourrir les volailles, les porcs et les vaches.

UNE TONNE DE CÉRÉALES PAR VACHE

Alors oui, on produirait moins de blé si l’on réduisait fortement l’utilisation des engrais azotés de synthèse, mais il en resterait largement assez pour la consommation humaine si on en donnait moins aux volailles, aux porcs et surtout aux vaches, dont l’organisme n’est absolument pas fait pour manger des céréales. Ce qui met en lumière au moins deux incohérences. La première étant de parler d’agriculture sans parler en même temps d’alimentation. La seconde de donner à chaque vache, en élevage intensif, plus d’une tonne de céréales par an, pour produire davantage d’un lait de moindre qualité.

Le dernier paradoxe, et pas le moindre, c’est que les engrais azotés, qui ont multiplié les rendements par quatre en un demi-siècle, vont, cette année, contribuer… à la faim dans le monde. Car, pour avoir de bons rendements en blé il faut, comme chacun sait, beaucoup d’azote et, en agriculture conventionnelle, d’azote chimique. Et là, il y a un problème : le gaz représente 80 % du coût de production des engrais azotés chimiques. Or son prix a explosé, et ce, bien avant la guerre en Ukraine. Gaz naturel plus cher veut dire engrais plus chers et donc blé, pain et autres aliments à base de blé plus chers. Ce qui, pour beaucoup d’entre nous, ne changera pas grand-chose mais, pour les nombreux pays pauvres qui dépendent de l’importation de cette céréale, pourra causer sinon des famines, du moins de sérieux problèmes d’alimentation. Et voila comment les engrais azotés de synthèse ont des effets exactement inverses de ce pourquoi ils sont produits.


Quand l’azote chimique contribue à la faim dans le monde

Claude Aubert, ingénieur agronome, est un pionnier de l’agriculture biologique et de l’alimentation saine, auteur de nombreux ouvrages sur ces sujets. Il est également cofondateur de Terre vivante.

Titwane | 

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