Le liseron, si attachant

Article publié le
Je suis envahie par les liserons dans mon jardin. Comment me débarrasser de cette plante, sans utiliser de pesticides ? Elise Souloumiac, Revel (31)
Potager sauvage

La réponse des 4 saisons

Merci de votre petite question… qui soulève une montagne de réflexion !

En tout premier lieu, je vous invite à observer : quelle espèce de liseron « envahit » votre jardin ? Le liseron des haies (Calystegia sepium) ou le liseron des champs (Convolvulus arvensis) ?

Le liseron, si attachant
Liseron des haies : grandes fleurs et feuilles embrassantes

Le liseron, si attachant 1
Liseron des champs : fleurs à rayons roses +/- marqués, feuilles en fer de hallebarde

Ensuite, je vous encourage à questionner la gêne occasionnée par sa présence : il grimpe et couche quelles cultures, à quelle période, les prive de lumière, favorise leur pourrissement ? Il couvre tout ou partie de votre potager ou de votre jardin d’ornement ? Il est simplement présent et victime d’un… « délit de sale gueule » parce que, nous le savons tous et toutes, « le liseron est envahissant, tous les jardiniers et toutes les jardinières vous le diront ! » ? Il suffit parfois de quelques plantes mal-aimées pour qu’on se croie envahi, la palme revenant sans doute aux « chardons », terme désignant vulgairement environ 250 espèces aux conditions de vie et d’implantation pourtant très variées. Mais je m’égare…

En référence aux ouvrages de Gérard Ducerf*, ces conditions nous apportent de précieuses informations pour intervenir au plus juste : les graines, nombreuses en état de dormance dans le sol, germent seulement si les caractéristiques de ce dernier (pH, humidité, structure, texture, température…) et climatiques sont réunies.
À chaque espèce ses préférences : le liseron des haies préfère (et indique donc) un sol (très?) humide, engorgé en matière organique ou en nitrate d’ammonium, naturellement ou par nos apports, avec libération de nitrites (il est nitritophile) ; le liseron des champs indique quant à lui un excès de matière organique ou de nitrate d’ammonium et un compactage des sols (lui est nitratophile). Apportez-vous beaucoup de fumier, de compost, d’engrais organique ?
Cela ne signifie pas que l’ensemble de votre jardin est en excès de nitrites ou de nitrates ; un diagnostic précis requiert un inventaire de l’ensemble des espèces spontanées poussant simultanément et permet de relativiser les caractères indicateurs de chacune, selon leur abondance relative : si le liseron couvre un dixième ou les trois quarts de votre plate-bande, ça change la donne ! Vous pouvez vous y entraîner, munie d’une bonne flore, ou vous rapprocher d’une association de botanistes de votre secteur, si vous voulez pousser plus loin l’investigation, passionnante et très « pointue ».

Plutôt que de chercher à « lutter contre », à vous en « débarrasser » ou à les « éliminer », je vous propose une autre vision du jardinage que celle, bien ancrée, suggérée par ce champ lexical guerrier : le petit monde de la permaculture soutient que le problème est la solution.
En effet, avec leurs puissantes racines, les liserons décompactent le sol ; avec leur feuillage fourni et couvrant, ils le protègent de l’exposition aux rayonnements solaires, à l’impact des précipitations, apportent en surface des éléments puisés en profondeur, maintiennent fraîcheur, humidité et abris à la micro-faune. C’est bien nous, jardinières et jardiniers, qui avons tassé et laissé le sol à découvert. Le liseron répare…
Bien sûr, leurs tiges volubiles nous encombrement lorsqu’elles s’enchevêtrent dans nos tomates ou recouvrent nos semis de carottes ! Qu’à cela ne tienne, utilisons-le contre lui-même !

Allez, quelques recommandations :

  • surtout pas d’outils tranchants dans le sol : les motoculteurs la multiplient, chaque tronçon de rhizome ou de tige enterrée donnant un nouveau plant ;
    aérez le sol à la grelinette, sans le retourner : aérer, oui, sur-oxyder, non !
  • paillez autant que possible, avec des matériaux plutôt « bruns » (riches en carbone) : paille, feuilles mortes… en couche aérée et peu épaisse (à renouveler) si votre sol est très humide ;
  • laissez les liserons pousser et faire leur « job » d’amélioration du sol tant qu’ils ne compromettent pas vos cultures – c’est un exercice de lâcher-prise pour jardinière en lutte ! [sourire plein d’empathie]
  • quand ils auront pris leurs aises, de préférence le matin d’une journée chaude, passez la main – gantée – sous la couverture de liseron et, avec l’index, arrachez juste le point d’ancrage, sans tirer sur la plante (au risque d’arracher les vôtres si déjà « entortillées »). Vous pouvez le faire à la binette si votre dos ou la surface cultivée l’exige ;
  • laissez-les sécher et pourrir sur place, en paillage. J’ai procédé ainsi une année en juin – mes tomates sans taille étaient quasiment recouvertes après 3 jours d’absence ! Je n’ai plus eu besoin de le refaire cette année-là ! Ce qui a repoussé, très affaibli, n’a occasionné aucune gêne ;
  • veillez toutefois à limiter leur reproduction en les coupant avant la maturité des fruits – après la floraison, favorables aux pollinisateurs (dont les syrphes, anti-pucerons de luxe), si vous supportez la cohabitation jusque là !
  • semez un engrais vert entre vos cultures : seigle, vesce, phacélie, par exemple, pour décompacter le sol et le couvrir. Fauchez-le ou couchez-le (« cassez » les tiges à la bêche sans les couper et plantez à travers) sans arracher les racines plusieurs semaines avant vos plantations, laissez-le en paillage sans l’enfouir.

Pour finir, je vous confie ce petit retour d’expérience personnelle : j’ai noté qu’après avoir bâché pendant plusieurs mois une parcelle de jardin pour la désherber par occultation, lors d’une année caniculaire (ça devient un pléonasme…), les premières espèces à revenir furent les limaces et le liseron des champs… conséquences de l’échauffement excessif, de la mort des champignons et bactéries du sol et de la minéralisation accrue de la matière organique (= nitrates disponibles, entre autres) ? Je suis tenté de le penser.

Dernière leçon : apprendre de nos erreurs, c’est-à-dire des effets de nos pratiques, à questionner avant de condamner par contumace nos « pestes » préférées !

J’espère vous avoir aidé et contribuer à changer votre regard sur nos précieux (et agaçants) liserons ! Tenez-nous au courant de vos expérimentations.

* Référence ouvrage : Ducerf, G., L’Encyclopédie des plantes bio-indicatrices, Ed. Promonature, 3 volumes