Le bois-énergie en question

Article publié le
Technicien forestier […], c’est avec intérêt que j’ai lu, dans le n°250, l’article intitulé “Le bois-énergie en question”. Je viens vous faire part de ma désapprobation sur le contenu ; certaines affirmations sont fausses, d’autres tendancieuses. […] Vous indiquez que 41 millions de m3 de bois sont brûlés en France chaque année. Ce chiffre est la récolte de bois en France toutes catégories (bois d’œuvre, bois d’industrie et bois-énergie) en forêt. La récolte annuelle de bois-énergie en France est de 7 millions de m3. La neutralité carbone : on ne récupère pas dans 35 ou 100 ans le CO2 que l’on dégage en brûlant du bois aujourd’hui ; le CO2 que dégage le bois que l’on brûle aujourd’hui est du CO2 que l’arbre, qui a produit ce bois, a puisé dans l’air il y a 30 ou 100 ans. Plaquette forestière, entre menace et débouché : la récolte de bois en France (41 millions de m3/an) représente environ la moitié de la production de la forêt (87 millions de m3/an) ; en quoi la récolte de bois-énergie menace-t-elle la forêt ? La plantation d’arbres à croissance rapide ; de quelles essences parlez-vous, quelle surface de forêt représente-t-elle ? […] Les choix en matière de sylviculture sont faits pour produire du bois d’œuvre, il est faux d’écrire que le « prix acceptable du chauffage urbain est pour partie responsable des choix en matière de sylviculture ». Dommage, vraiment très dommage pour une revue comme la vôtre de publier de tels articles ! _Jacky Jaquet, Saint-Hilaire-Saint-Mesmin (45)
Potager sauvage

Merci d’avoir pris le temps de nous faire part de votre désapprobation concernant l’article “Le bois-énergie en question” publié dans le n°250 des 4 saisons. Nombreuses sont les questions soulevées aujourd’hui par le bois-énergie et cet article avait pour objectif de souligner la complexité du sujet. Je vais reprendre un à un les points que vous soulevez et tenter d’y apporter sinon une réponse au moins un éclairage.

Selon Solagro, 41 à 43 millions de m3 de bois sont brûlés chaque année en France métropolitaine (voir la note ci-jointe “Le bois énergie – État des lieux, lieux de controverse”, page 7). Ce chiffre totalise le bois récolté en forêt (18 millions de m3), certes, mais également le bois récolté hors forêt, dans les parcs et jardins (8 millions de m3), ainsi que les connexes de scieries, déchets et bois de récupération (15 millions de m3). Il se trouve – et vous avez raison – que la récolte de bois commercialisée en France approche elle aussi les 40 millions de m3 par an, elle était de 38 millions de m3 en 2019.

Comme je l’explique dans l’article, ce volume de “bois commercialisé” (38 millions de m3) se distingue assez largement du “bois consommé” réellement, compte tenu du marché non-déclaré et de l’auto-approvisionnement. Selon Solagro toujours, les quatre cinquièmes du volume de bois-bûche échappent aux circuits professionnels.

Concernant la neutralité carbone, c’est un sujet qui fait aujourd’hui débat et sur lequel il est difficile de se positionner car les données manquent tout simplement. L’article expose deux visions du bois-énergie dans un contexte de lutte contre le changement climatique. Celle de l’association Fern-Canopée incite à limiter les prélèvements de bois pour augmenter le stockage de carbone dans les écosystèmes forestiers. Le temps de retour carbone est une notion à approfondir, qui mérite de questionner l’usage qui est fait du bois. Doit-on, par exemple, légitimer l’usage du bois pour la fabrication de produits jetables, ou de courte durée de vie (papier, ameublement…) ?

Celle de l’Inrae et de l’IGN envisage une intensification de la production forestière en vue du renouvellement des peuplements. Dans leur étude prospective, les deux instituts présentent ainsi la problématique : « les forêts et les forestiers des régions tempérées se voient soumis à des objectifs qui peuvent paraître contradictoires : augmenter la captation du carbone atmosphérique pour accroître la séquestration dans la biomasse et dans les sols tout en fournissant une part croissante des ressources nécessaires à la production des biens matériels et de l’énergie dont les sociétés humaines ont besoin, et renouveler progressivement les forêts pour leur permettre de s’adapter aux conditions climatiques de demain. Le positionnement du curseur entre ces enjeux potentiellement antagonistes est, depuis quelques années, l’objet de débats sociétaux et scientifiques suffisamment intenses pour que l’on s’y arrête afin de bien en évaluer les tenants et les aboutissants ».

« Plaquette forestière : entre menace et débouché ». Il n’était pas dans mon intention de présenter la plaquette forestière comme une menace pour la forêt. Il faut cependant admettre que la transformation de paysages forestiers, qui font l’objet de coupes rases à destination des chaufferies, peut avoir quelque chose de brutal pour le grand public. Par ailleurs, les objectifs de consommation de bois sont très ambitieux et soulèvent des questions sur leur usage : pour le chauffage, oui, pour la production d’électricité, non. Enfin, il faut dénoncer sans concession les dérives de la filière, liées à de mauvaises pratiques qui détériorent les écosystèmes forestiers. C’est la raison pour laquelle l’Ademe a publié une note valorisant les bonnes pratiques pour la production de plaquettes forestières (“Récolte durable de bois pour la production de plaquettes forestières”, 2020).

Plantation d’arbres à croissance rapide. Je faisais référence à la plantation de douglas qui s’est très vite développée depuis les années 1970. « Aujourd’hui, avec un massif de 420 000 hectares, la France est le premier pays européen producteur de douglas », selon ses promoteurs.

Vous dites que « les plantations sont faites pour produire du bois d’œuvre, beaucoup plus rémunérateur que le bois énergie », et ça ne fait aucun doute. D’autant plus en cette période où la demande est très importante. Il arrive parfois que le bois-énergie permette, comme vous le dites, de produire du bois d’œuvre en donnant des débouchés aux coupes d’éclaircies. Mais ce que m’a appris l’un de mes interlocuteurs, c’est qu’il est illusoire de penser que le bois-énergie provient seulement des opérations sylvicoles indispensables à la production de bois d’œuvre. Pour trouver un débouché économique, il faut une part non négligeable de bois issu de coupes rases de taillis, qui permet d’obtenir un prix au m3, et donc au MWh, plus faible. Au demeurant, cette stratégie pousse à exploiter en priorité les taillis les plus accessibles, en vallée et sur les coteaux. Les taillis de feuillus les plus difficiles d’accès restent quant à eux inexploités. C’est notre modèle économique, basé sur un prix relativement faible de l’énergie, qui veut cela. C’est ce que j’ai voulu dire en écrivant que le « prix acceptable du chauffage urbain est pour partie responsable des choix en matière de sylviculture ».

S’agissant des scolytes de l’épicéa, qui ne sont pas l’objet de cet article, il me semble qu’ils sont tout autant la conséquence du changement climatique que de la volonté de réaliser des plantations d’épicéas en limite de leur aire de répartition naturelle.

 

Josselin Rivoire