Il faut sauver l’araignée (Ryan ?) – 2e prix | Nouvelles sur le jardin et l’écologie

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À l’occasion de ses 40 ans en 2020, Terre vivante a lancé un concours de nouvelles “Crayon, planète et grelinette” sur des thèmes qui lui sont chers : le jardin et l’écologie, avec comme Présidente du Jury Marie-Monique Robin. 399 nouvelles reçues ! Poésie, science-fiction, polar, théâtre... qu'il fut difficile de choisir les finalistes ! C'est avec plaisir que nous vous livrons ces nouvelles : les 3 primées ainsi que 15 autres sélectionnées selon les appréciations des membres du Jury.
Un privé dans les choux | Nouvelles sur le jardin et l'écologie

Cette nouvelle a remporté le 2e Prix du concours “Crayon, planète et grelinette” !
Bravo à Laura Moran.

 

Il n’y avait pas de doute, elle avait bien entendu. C’était terrible, quelqu’un courait un grave danger ! Elle n’avait pas d’autre choix qu’abandonner son goûter pour aller prévenir les autres. Il y avait une vie à sauver !

Elle se rua dehors ; au loin, ses amis étaient regroupés dans le jardin. Il fallait les rejoindre au plus vite mais elle se sentait vraiment alourdie par la confiture de fraises qu’elle avait ingurgitée. Elle n’en avait pourtant pris qu’une bouchée ! Et cette fois-ci elle avait bien fait attention à manger le sucre blanc avant la confiture rouge. Dans sa tête, bourdonnait cette phrase « Blanc sur rouge, rien ne bouge ; rouge sur blanc tout fout le camp ». Visiblement c’était n’importe quoi.

Elle arriva tout essoufflée devant ses amis et ses premiers mots prononcés n’avaient pas beaucoup de sens :

« – Araignée…fruit…danger…

– Ah super ! J’adore les devinettes ! Je commence : est-ce que ça mange des pucerons ?

– Une seconde… reprendre souffle… »

Le petit groupe du jardin avait les yeux fixés sur la pauvre abeille qui reprenait son souffle pour pouvoir délivrer son message de la plus haute importance. Ses amis formaient vraiment une belle équipe. Il y avait tout d’abord la coccinelle, très élégante avec sa robe à pois et qui mangeait en permanence un puceron (pas le même bien sûr, je pense que vous l’aviez compris). Etant assez soucieuse de sa ligne, elle se limitait à 99 pucerons par jour. Ensuite venait la guêpe qui ne faisait preuve de finesse que pour sa taille et la mouche dont chacune des facettes surveillait l’un de ses asticots. Venait ensuite la chenille qui se transformerait bientôt en papillon zeuzère et qui n’arrivait pas à se décider sur la future couleur de ses ailes. La dernière de la bande et la chef de troupe était la fourmi. C’était une ancienne reine qui avait choisi une autre voie que fonder une fourmilière. Elle ne se voyait pas enfermée à la maison à pondre toute la journée. Elle aurait voulu être fourmi soldat et défendre la fourmilière ou ouvrière et parcourir les champs, bref tout sauf reine. Malheureusement dans la fourmilière, on ne choisit pas son destin. Elle avait donc opté pour la vie en solitaire et pour combler le manque de relations sociales, elle se faisait de nouveaux amis à chaque saison. Sa longévité étant bien supérieure à celle de ses compagnons, elle survivait aux saisons tandis que ses amis disparaissaient. Une situation de plus en plus pesante pour elle ; elle compensait sa tristesse en faisant profiter de son expérience ses nouveaux amis et en les aidant du mieux possible.

« – Ça va mieux ? Alors, qu’est-ce que tu voulais nous dire, demanda la fourmi.

– Je viens d’entendre qu’une araignée est prisonnière dans un fruit ! Il faut la sauver ! dit l’abeille en un seul souffle. »

D’instinct tous levèrent la tête. Ils se trouvaient sous le figuier, encore chargé de fruits.

« – Ça va être long de vérifier tous les fruits, pensa la fourmi.

– Il y a des pucerons sur un figuier ? pensa la coccinelle.

– Impossible d’emmener mes asticots aussi haut, c’est trop dangereux ! pensa la mouche.

– Et si finalement je faisais mon cocon sur le figuier ? pensa la chenille. »

La guêpe fidèle à son habitude, ne pensa rien.

– Non ce n’est pas ici, c’est dans un des fruits du potager ! » dit la petite abeille qui avait partiellement digéré son premier morceau de sucre et commençait à se sentir plus légère.

« – Y’a pas de fruits dans le potager ! s’exclama alors la guêpe. Elle avait ses antennes froncées et semblait très concentrée.

– Si, il y en a, cela fait juste 40 fois que l’on t’explique ça. Prenons l’exemple de la tomate. Même si on l’appelle « légume », techniquement c’est un fruit, tu comprends ? expliqua la fourmi, qui en plus d’être chef, était la pédagogue de groupe.

– Mais y’a pas de tomates en ce moment ! répliqua la guêpe qui avait beaucoup de mal à comprendre.

– Oui d’accord c’était un mauvais exemple. En effet, on est au début de la saison des feuilles qui tombent et il n’y a plus de tomates. Mais il y a quand même des fruits. Le fruit c’est un peu le petit de la plante, comme tes larves, tu vois ?

– La plante pond des œufs ?

– Oui voilà, la plante pond des œufs. Et ensuite ils poussent et ça devient des fruits, continua d’expliquer la fourmi, avec une patience à toute épreuve.

– Tu oublies que la plante fait d’abord une fleur ! C’est important les fleurs ! Ce sera la base de mon alimentation quand je serai devenue un beau papillon, intervint la chenille zeuzère. »

La fourmi regarda la chenille et n’osa rien dire. Au fil du temps, elle avait déjà assisté à plusieurs transformations de chenilles en zeuzères et savait très bien qu’au cours de leur courte vie, les papillons ne se nourrissaient pas. Pour une fois, elle préféra taire la vérité plutôt que de briser les espoirs de la petite chenille. Avec le temps, elle avait appris à réfréner son envie de dire la vérité aux autres animaux quand celle-ci était trop blessante.

« – Tu as raison, chaque élément a son rôle dans un jardin. Mais pour l’instant l’important c’est l’araignée prise au piège, le cours de botanique ce sera pour plus tard. Tous au potager ! »

Sur ces mots la fourmi se mit en marche d’une patte vigoureuse en direction du potager, invitant les autres à la suivre.

« – J’attrape deux pucerons pour la route et j’arrive, pensa la coccinelle toujours prudente.

– C’est bien la peine qu’ils gigotent autant, il n’y en a pas deux qui vont dans la même direction ! pensa la mouche en regardant ses asticots.

– J’espère qu’il y aura du concombre dans le potager. Un papillon m’a dit qu’un masque au concombre était très bon pour le teint, pensa la chenille.

– Pourvu qu’ils nous laissent le temps de la sauver, pensa l’abeille. »

Encore une fois la guêpe ne pensa rien.

Ils étaient enfin parvenus au potager.

« -Alors, dit la fourmi. Dans quel fruit est-elle coincée ? Ou fruit/légume, précisa-t-elle en regardant la guêpe et voulant éviter une autre explication laborieuse. »

Sans hésiter, l’abeille vola au-dessus des cucurbitacées. Heureusement il n’y en avait pas beaucoup, l’araignée allait être vite libérée.

« – Très bien. On se met deux par deux et on attaque les fruits/légumes. Ceux qui ont des mandibules, mordez ! Puis utilisez tout ce que vous avez pour ouvrir le fruit/légume. Au travail ! » ordonna la fourmi.

Les animaux s’attaquèrent immédiatement aux fruits/légumes. Seule la guêpe tournait en rond.

« – Pourquoi tu n’es pas au travail, la guêpe ? demanda la fourmi.

– Tu as dit de se mettre par deux et comme la mouche n’est pas là, je suis toute seule et j’attends. répliqua la guêpe, fière de sa logique.

– Commence à attaquer, elle va arriver ! »

La guêpe se jeta alors sur un fruit/légume et commença à le mordre violemment.

« – Non, pas celui-là, dit la fourmi. C’est un rutabaga. On doit attaquer juste les courges et dérivés.

– Ah d’accord, dit la guêpe, et celle-là c’est bon ? dit-elle en montrant avec son antenne un autre élément du potager.

– Non… c’est une balle en plastique… tu sais quoi, attends la mouche. Mais où-est-elle donc ? Tout le monde devait me suivre ! »

Effectivement la mouche ne semblait pas les avoir suivis. « C’est curieux, pensa la fourmi, c’est pourtant toujours la première à proposer son aide. Peut-être que son heure est venue et qu’elle nous a déjà quittés ? » Avant qu’elle ait pu finir cette pensée, un nuage noir arriva vers le potager, la mouche en tête. Incroyable ! Les asticots s’étaient déjà transformés en mouches et ils arrivaient en masse. « Ainsi donc, pensa la fourmi, les asticots se sont transformés plus vite que prévu, sans passer par le stade de pupe. Cela confirme mon hypothèse : lorsque je fais boire à la mouche ce liquide spécial que les humains mettent sur les plantes (et qui les fait pousser très très vite), la croissance de ses larves est plus rapide. Bien. La saison suivante, je ferai boire ce liquide aux coccinelles et j’observerai le résultat sur leurs larves. » Pendant que la fourmi élaborait ses protocoles d’expérience, les animaux s’activaient sur les pauvres petites courges du jardin. Ils avaient réalisé un beau travail car il n’y en avait plus une seule qui fût entière. En revanche, aucune araignée en vue.

« Je ne comprends pas, dit l’abeille. Je suis sûre d’avoir bien entendu ! » Par un fait très curieux, cette abeille possédait en effet la capacité de comprendre les mots des humains.

« – Tu as entendu quoi exactement ? demanda la fourmi qui commençait à entrevoir le problème.

– Il y a une araignée coincée dans la coloquinte, dit l’abeille, voilà ce que j’ai entendu.

– Exactement ces mots-là ? «

L’abeille commençait elle-même à entrevoir le problème.

« – Et bien… presque… en fait les jeunes humains regardaient la vieille humaine en riant. L’un d’eux dit “elle a une araignée dans la coloquinte”. Je suis venue vous avertir immédiatement… Je crois que j’ai compris de travers… Je suis désolée…

– Ce n’est pas grave, tu as cru bien faire ! Cette expression veut simplement dire que la vieille humaine est un peu folle mais ça on le savait déjà. Ne t’inquiète pas, les coloquintes repousseront. L’important c’est que personne n’ait été blessé. »

Les amis repartirent du potager dévasté. Les humains ne comprendraient pas ce qui avait pu se passer, d’autant que les légumes qui avaient été détruits n’étaient pas comestibles. Ils accuseraient peut-être les enfants des voisins mais ne penseraient jamais à une troupe de petits animaux.

« – Quelle idée aussi de parler n’importe comment. Les humains ne peuvent pas appeler une araignée une araignée ! pensa l’abeille.

– Cette petite virée m’a mise en appétit, pensa la coccinelle. Rien de tel qu’un petit puceron ou deux pour me requinquer.

– Quelle aventure ! J’en ai profité pour pondre quelques œufs dans le potager. Peut-être que mes futurs asticots devraient se nourrir de fruits et légumes plutôt que de viande. C’est pas normal que ceux-là aient grandi aussi vite ! pensa la mouche, inquiète en regardant la nouvelle génération de mouches qui lui sembla un peu effrayante.

– Lorsque je serai devenue un magnifique papillon, j’irai polliniser les futures fleurs des plantes qu’on a détruit, je serai un papillon constructif ! pensa la chenille qui pourtant passait ses repas à détruire le pommier voisin en creusant des galeries dans son bois.

– Je n’ai pas osé leur dire qu’il y a quelques saisons, j’avais fait la même erreur que l’abeille. J’avais entendu les hommes dire que la vieille humaine “sucrait les fraises” et j’avais précipité toute ma troupe de l’époque vers les fraises pour recueillir le sucre… sans succès bien entendu. Finalement ce n’est peut-être pas si mal que mes amis changent avec les saisons, cela me permet de ne pas passer pour une abrutie, pensa la fourmi. »

La guêpe n’avait pas compris où était passée l’araignée. « Elle a dû s’enfuir très vite », pensa-t-elle.

 

Laura Moran d’Isère

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