Poêles de masse – Les fours à pain

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Par Damien Cauvard

 

Deux styles de fours à pain

Dans la famille des cuiseurs de pain au bois, on trouve deux styles.

La chauffe indirecte

Les fumées circulent à l’extérieur de la chambre de cuisson métallique avant de rejoindre le conduit d’évacuation des fumées. L’avantage est de pouvoir chauffer et cuire en même temps : la chauffe est souvent assez réactive et le four n’a que très peu d’inertie.

La chauffe directe

L’intérieur de la chambre de cuisson est chauffé directement avec les fumées ou les flammes, pour charger la maçonnerie en calories. Puis on enfourne le pain, qui cuit grâce à l’inertie des briques. Cette cuisson demande une plus grande maîtrise de la chauffe, moins réactive que la chauffe indirecte ; mais avec un peu d’expérience, la cuisson est plus stable car la température ne descend que très peu à l’enfournement.

Dans cette famille des chauffes directes, il existe deux sous-familles principales :

  • Les fours dont la chambre de cuisson sert de foyer, comme dans les fours voûtés dits « romains », répandus en France dans les fermes ou les hameaux, permettant des cuissons communautaires.
  • Les fours à foyer déporté. Le foyer est ici distinct de la chambre de cuisson, par laquelle passent les fumées et les flammes avant de parcourir un circuit de fumée maçonnée plus ou moins long. Ce dernier modèle, qui s’est généralisé en France dans les boulangeries à partir de la fin du XIXe siècle, est souvent appelé « four à gueulard », du nom de la pièce de fonte en forme de tuyère qui relie le foyer à la chambre de cuisson.

Four à gueulard et poêle de masse
Ce sont des cousins proches, malgré les différences d’apparence. Leur principe est le même : on charge une masse maçonnée.
Par contre, les contraintes d’utilisation diffèrent : le poêle trône au centre du salon, on en prend soin ; le bois est chargé avec délicatesse, en une seule fois pour gagner du temps. Le four, quant à lui, est un outil de travail. Le boulanger, qui doit en même temps gérer sa fournée, est parfois moins précautionneux lors du chargement. La quantité de chaleur se situe entre 200 et 250 kWh, stockée dans 35 tonnes, et doit être restituée dans les 2 heures qui suivent la chauffe, le tout en un temps limité. Un gros poêle stocke 100 kWh à restituer sur 12 heures.

Le dimensionnement des fours, foyer, chambre de cuisson, carneaux de fumées en sortie de chambre de cuisson, cheminées d’évacuation était fait de manière empirique et en tenant compte des contraintes dimensionnelles. Et ça marche plutôt bien, probablement entre autres grâce à la puissance des foyers, à la taille des conduits d’évacuation maçonnés et au grand savoir-faire des constructeurs.
Cependant, quand les contraintes d’encombrement changent, quand le foyer se déplace sur le côté, qu’on veut changer l’accastillage d’origine, quand les exigences des voisins sur la fumée se durcissent, quand le savoir-faire ancestral ne se transmet plus aussi bien qu’avant, la grande connaissance accumulée par les constructeurs de poêles est très précieuse.


Four à pain
F. Chirinos |

Four de boulange et poêle de masse

La conception

Un foyer performant emprunté à la géométrie des poêles autrichiens semble une belle amélioration pour des fours. Là, une circulation des fumées dans la voûte du four permet de restituer des calories au four, en augmentant la température de départ pour la chauffe suivante. On peut choisir d’envelopper le four dans une coquille isolante, en vermiculite par exemple, pour garder la chaleur d’une fournée à l’autre, de la même manière qu’on isole un poêle du sol pour qu’il ne se décharge pas dans la mauvaise direction. 

L’évaluation

On peut évaluer ces améliorations de plusieurs manières. D’abord avec un testeur de combustion emprunté à un ami poêlier, avec un thermomètre en sortie de conduit pour évaluer le rendement de la combustion. On peut aussi comparer les fours en demandant au boulanger de peser la quantité de bois avant la chauffe et de la rapporter à la quantité de pain cuit (le rythme d’utilisation du four dans la semaine est un facteur important dans la comparaison).
On peut aussi regarder l’usure des pièces de fonte, du foyer, de l’intérieur de la chambre de cuisson. Cette usure était très importante sur les anciens fours, dans lesquels on ne lésinait pas sur la quantité de bois brûlé en des temps record, donc avec des puissances très élevées. Cela correspondait à une demande d’enchaînement des fournées et à un besoin de cuisson en chaleur tombante, pour des croûtes bien dorées.

La coopération

L’amélioration du rendement intéresse surtout le constructeur, alors que l’objectif du boulanger est l’amélioration de la cuisson du pain et du confort de travail. Toute évolution positive est le fruit d’une collaboration entre le boulanger, le constructeur du four et bien sûr la communauté des poêliers. La modélisation d’un four avec les logiciels de calculs de poêles serait une aide précieuse à la compréhension du fonctionnement d’un four et à son dimensionnement. Le travail mené par le laboratoire de l’AFPMA sur la modélisation des poêles cloches peut permettre d’adapter l’outil au four à pain à gueulard. 

Fournier et poêlier, un même métier ? 

Le constructeur de fours est avant tout un maçon, qui sait construire des voûtes, des arcs, qui maîtrise les mortiers argile, chaux et même plâtre… Il connaît le travail des boulangers. Avec un peu de persévérance, il peut apprendre le calcul, s’intéresser aux recherches sur les foyers, comprendre l’enjeu des dilatations pour soigner les revêtements de surface et tous les éléments d’un habitat intérieur, apprendre à connaître les fournisseurs d’accastillage de poêles, libérer la créativité nécessaire à la construction d’un poêle.
Le poêlier souvent calcule, conçoit, crée un volume nouveau et original, et doit organiser des chantiers soignés et rapides pour se faire discret, il utilise des mortiers parfois techniques, s’adapte aux exigences des habitants. Mais il peut prendre goût à un ouvrage plus imposant, plus rustique, qui fait appel à une main-d’œuvre plus nombreuse (on travaille aisément à 6 personnes sur la construction d’un four), à la formulation très artisanale de mortiers terre-chaux aérienne, à la beauté de cet outil de travail qui sert à nourrir les humains et permet une collaboration riche et gourmande avec des boulangers à la fois exigeants et généreux…


Ce four à pain artisanal d’environ 35 tonnes est conçu selon les dispositifs de combustion et de construction de Heikki Hyytiäinen (réalisation Johannes Riesterer, Svenska Jordhus).
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