« Je suis un arbre »

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S’engager pour la planète, proposer des solutions pour l’avenir… Entre coups de cœur et coups de griffes, des auteurs, autrices, acteurs et actrices de Terre vivante prennent la plume et livrent leur vision sur un thème qui les touche particulièrement. Alain Niels Pontoppidan, arboriste, rédacteur pour le magazine Les 4 saisons et auteur, lance un cri d’appel. Celui que les arbres adressent aux hommes.

Oui, je suis la forêt, et pas seulement les arbres. Je suis les arbres et tout le reste. Indivisible. Une et multiple, toujours changeante, toujours naissante, foisonnante, je suis la vie qui danse. Vous, les humains, on dirait que vous êtes à part. On dirait que vous ne savez pas que vous aussi, vous êtes la forêt.

Je suis un arbre. Je suis les arbres, je suis tous les arbres.
Je suis la forêt.
Jadis, je recouvrais la terre d’un épais manteau ondoyant, je m’étalais dans les vallées, j’accompagnais le cours des fleuves, le frétillement des ruisseaux. J’habillais les collines, j’escaladais les montagnes jusqu’à ce que le froid m’arrête.
J’étais la forêt, une seule forêt immense traversant les continents.
La terre me nourrissait, et je la nourrissais. J’accumulais l’humus qui perfusait le sol et le rendait fertile. La terre, caillou et roc, argile et sable, se paraît d’un épiderme sensible ; le sol. Le sol vivant, grouillant de vie, le sol matrice de vie. Et moi je protégeais ce sol de l’ardeur du soleil, je filtrais ses rayons, j’atténuais leur violence.
Je freinais les tempêtes, je retenais le vent en le faisant tourbillonner à travers la canopée.
Je pompais l’eau du sol et la rendais au ciel, un grand courant me traversait et exhalait des continents de vapeur invisible montant nourrir les nuages.

« JE SUIS LE TISSAGE INFINI DES MYCÉLIUMS INVISIBLES QUI RELIENT LES RACINES ENTRE ELLES »

Je suis la forêt, et je ne suis pas seulement les arbres. Je suis les champignons, le tissage infini des mycéliums invisibles qui relient les racines entre elles, et les connecte au le monde minéral. Je suis les champignons qui décomposent, qui font pourrir les feuilles mortes et les branches tombées, qui alchimisent l’humus.
Je suis les bactéries qui s’insinuent partout, qui vivent, qui meurent et vivent encore, immense corps pulsatile insaisissable omniprésent.
Je suis les vers de terre, les scarabées, les courtilières, les tiques, les moucherons, les fourmis rousses.
Je suis les corbeaux, les pics, les autours, les geais, les chouettes, les fauvettes, les tétras-lyres et les sittelles.
Je suis les renards, les chevreuils, les taupes et les lézards, les escargots, les ours.
Je suis les primevères, le lierre, la ronce, les tapis de jonquilles, les brins de muguet, la senteur des chèvrefeuilles.
Oui, je suis la forêt, et pas seulement les arbres. Je suis les arbres et tout le reste. Indivisible. Une et multiple, toujours changeante, toujours naissante, foisonnante, je suis la vie qui danse.

« VOUS DÉFRICHEZ, VOUS DÉMEMBREZ LA TERRE, VOS CROYEZ N’ENLEVER QUE DES ARBRES »

Vous, les humains, on dirait que vous êtes à part. On dirait que vous ne savez pas que vous aussi, vous êtes la forêt. Alors vous séparez, vous divisez, vous désertez. Vous exploitez le bois, vous l’appelez ressource, vous l’appelez matière, filière bois, renouvelable ou pas.
Vous défrichez, vous démembrez la terre, vos croyez n’enlever que des arbres, mais c’est tout le reste que vous enlevez en même temps. En arrachant les arbres, vous arrachez aussi les hiboux, les singes, les capricornes. Même l’océan est affecté, même les poissons, même les baleines. Elles sont aussi la forêt Une.
Vous croyez vous enrichir, vous croyez demeurer indemnes, mais c’est vous que vous démembrez. Votre vie prédatrice se tourne contre vous. Et lorsque vous cherchez les causes du déséquilibre qui affecte la planète entière, vous aboutissez toujours à la même conclusion : vous. Et la mort des forêts.

Lorsque vous vous perdez, nous nous perdons avec vous.
Redevenez ce que vous êtes. Cessez donc d’avoir peur, tellement peur. Peur de manquer, peur de perdre le contrôle, si peur de laisser la grande nature prendre soin de vous.
Mettez votre génie au service de la terre, au service de la vie. Elle n’attend que vous. Laissez parler votre cœur. Soyez le cœur battant de la grande forêt du monde.

 


Alain Niels Pontoppidan est technicien agricole, arboriste et formateur. Il est également journaliste, notamment pour Les 4 saisons, et auteur de plusieurs ouvrages sur les arbres dont J’apprends à tailler mes arbres et Le Verger bio, aux éditions Terre vivante.

Titwane |

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